Ari Þorgilsson ou Ari (inn) fróði – Ari le Savant


Ari Þorgilsson (1067/1068-1148), surnommé Ari (inn) fróði (« le Savant »), est un historien islandais. Il est l’auteur de l’Íslendingabók (« Livre des Islandais »).

Le premier écrivain islandais (et, plus généralement, scandinave) à avoir laissé une œuvre en prose en langue vernaculaire, il est considéré comme le père de l’histoire et de la littérature islandaises. Cependant, la brièveté de son œuvre subsistante ne permet qu’en partie d’expliquer la considération dont il a bénéficié au Moyen Âge, et il est possible qu’il ait écrit davantage, sur la colonisation de l’Islande et les rois de Norvège.

Ari est né en 1067 ou 1068 dans un domaine du Helgafell, dans l’ouest de l’Islande, qui était propriété de son arrière grand-mère, Guðrún Ósvífsdóttir, l’héroïne de la Laxdœla saga .Il est apparenté à nombre de personnes influentes dans l’histoire de l’Islande, et l’Íslendingabók se clôt sur une généalogie d’Ari qu’il fait remonter à la lignée des Ynglingar, rois de Norvège et rois légendaires de Suède.

Son père, Þorgils, se noie dans le Breiðafjörðr dans son jeune âge, et Ari, encore enfant, est ensuite élevé par son grand-père Gellir. Ce dernier meurt en revenant d’un pèlerinage à Rome et, à l’âge de sept ans, Ari s’installe à Haukadalr, chez Hallr Teitsson (peut-être parce que la femme de Hallr, Jórunn, était cousine au deuxième degré de sa mère. Il est élevé par le très savant Teitr Ísleifsson, fils d’Ísleifr Gizurarson, premier évêque d’Islande. Ari reste quatorze ans à Haukadalr.

De sa vie d’adulte, peu d’informations sont en revanche connues, sinon qu’il fut ordonné prêtre et exerça sans doute la fonction de goði. Il eut un fils nommé Þorgils.

Une seule œuvre d’Ari a été conservée : l’Íslendingabók, dont la première version a sans doute été rédigée entre 1122 et 1133. Il retrace, dans un récit concis (une dizaine de pages), l’histoire de l’Islande depuis sa colonisation.

Sont successivement évoqués l’introduction de la loi et la mise en place de l’Alþing, la division du pays en quartiers, la découverte et la colonisation du Groenland, la conversion du pays au christianisme (qui fait l’objet du plus long chapitre de l’ouvrage), les évêques étrangers, l’instauration d’une cinquième cour à l’Alþing, et les deux premiers évêques islandais, Ísleifr Gizurarson et son fils Gizurr.

Dans le prologue, Ari indique avoir montré la première version de l’Íslendingabók aux évêques Þorlákr (Runólfsson) et Ketill (Þorsteinsson), peut-être les commanditaire du livre, ainsi qu’à Saemundr fróði, puis en avoir rédigé une seconde, complétée sur certains points, mais omettant les généalogies (áttartölu) et les vies de rois (konunga ævi).

Par ailleurs, dans l’épilogue de sa rédaction du Landnámabók, Haukr Erlendsson mentionne l’existence de premières versions de cette œuvre, rédigée par Ari et Kolskeggr Asbjarnsson. La version d’Ari, quelle qu’elle ait été, n’a pas été conservée, et les rédactions connues du Landnámabók diffèrent certainement grandement des version originelles.

Une courte vie de Snorri le goði (Ævi Snorra goða), ainsi qu’une liste de prêtres islandais, sont aussi attribuées à Ari.

Ari bénéficie d’une très grande reconnaissance au Moyen Âge, ce dont témoigne le surnom fróði que lui donnèrent ses compatriotes, le fait qu’il soit le seul auteur islandais cité par l’auteur du Premier traité grammatical, ou encore les propos de Snorri Sturluson qui, dans le prologue de sa Heimskringla, décrit Ari comme un homme « très intelligent », « bien informé des événements anciens, [en Islande] comme à l’étranger » et encore « avide de connaissances » et « doué d’une bonne mémoire ». Dans sa méthode critique d’écriture de l’histoire, Snorri s’est inspiré d’Ari. L’admiration pour Ari était largement partagée au Moyen Âge, et il est fréquemment cité comme une source faisant autorité, que ce soit par les auteurs de sagas royales (outre Snorri, Oddr Snorrason et Gunnlaugr Leifsson (moine bénédictin du monastère de Þingeyrar, mort en 1218 ou 1219, et auteur de plusieurs œuvres littéraires, tant en latin qu’en vieux norrois) l’ont invoqué dans leurs œuvres consacrées à Óláfr Tryggvason) ou de sagas d’Islandais.

La méthode d’Ari se caractérise, de fait, par sa modernité : il cite ses sources, a recours à des témoins fiables, se montre critique, est soucieux de la chronologie. Son attachement à la vérité est illustré par une phrase du prologue dans laquelle il affirme qu’« à tout ce qui est dit de façon inexacte dans ce récit, il faut préférer ce qui se révèlera plus vrai ».

L’Íslendingabók constitue donc, avec le Landnámabók, une source de première importance pour les débuts de l’histoire de l’Islande, même si certaines limites ont été mises en évidence. L’objectivité d’Ari doit ainsi être relativisée par son intérêt pour le renforcement de l’Église, son insistance sur l’origine norvégienne des colons, sa mise en valeur du rôle de sa famille ou de celle de ses proches dans l’histoire de l’île.

Première œuvre rédigée en langue vernaculaire, l’Íslendingabók, est, par ailleurs, souvent considérée comme l’ancêtre de la littérature islandaise, et notamment des sagas. Régis Boyer y trouve déjà présentes toutes les qualités caractéristiques des sagas : « rapidité, économie de moyens, pratique de la litote et, par conséquent, resserrement», même si Peter Hallberg a souligné ce qui distinguait l’œuvre d’Ari des sagas : elle ne se concentre pas sur un individu et est dépourvue des scènes et des dialogues vivants caractéristiques du genre.

Plus spécifiquement, les vies de rois ôtées de la seconde version de l’Íslendingabók peuvent être, au même titre que l’œuvre, totalement disparue, de Saemundr, tenues pour les ancêtres des sagas royales, dont elles constituent la première génération. Cependant, tant la nature des konunga ævi – véritables récits ou simples chronologies accompagnées de brèves indications sur le règne de chaque roi – et leur influence sur les historiens scandinaves médiévaux a donné lieu à des débats nourris.

Bibliographie

  • Turville-Petre, G. Origins of Icelandic literature. Oxford : Clarendon Press, 1967. P. 88-108.